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matic dz


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افتراضي livre :L'équation africaine, de Yasmina Khadra

Par Lire, publié le 18/07/2011 à 15:00
Kurt Krausmann, le narrateur, est médecin à Francfort. Fou amoureux de sa femme, la belle Jessica, il la retrouve un soir gisant dans sa baignoire : elle s'est donné la mort en ingurgitant deux boîtes de somnifères. Afin de l'aider à surmonter son chagrin, son meilleur ami Hans Makkenroth, un riche homme d'affaires, veuf lui aussi, qui s'est lancé dans l'humanitaire depuis le décès de son épouse, lui propose de l'emmener sur son voilier jusqu'aux îles Comores à l'occasion d'une mission. Au large des côtes somaliennes, leur bateau est assailli par les pirates. Kurt et Hans sont enlevés puis transférés dans un campement clandestin. Entre les dures conditions de détention et la proximité dangereuse avec des mercenaires sans pitié, c'est le début d'une descente aux enfers... Auteur à succès d'une quinzaine de romans, dont L'attentat et Ce que le jour doit à la nuit, Yasmina Khadra raconte cette fois l'irrésistible transformation d'un Européen et célèbre la grandeur d'un continent livré aux pires calamités.


Frankfurt
Lorsque j'ai rencontré l'amour, je m'étais dit, ça y est, je passe de l'existence à la vie et je m'étais promis de veiller à ce que ma joie demeure à jamais. Ma présence sur terre se découvrit un sens et une vocation, et moi une singularité... Avant, j'étais un médecin ordinaire entamant une carrière ordinaire. Je grignotais ma part d'actualité sans réel appétit, négociant par-ci de rares conquêtes féminines aussi dénuées de passion que de traces, me *******ant par-là de copains de passage que je retrouvais certains soirs au pub et le week-end en forêt pour une gentille randonnée - bref, de la routine à perte de vue avec de temps à autre un événement aussi fugace et flou qu'une impression de déjà-vu qui ne m'apportait rien de plus qu'un banal fait divers dans un journal... En rencontrant Jessica, j'ai rencontré le monde, je dirais même que j'ai accédé à la quintessence du monde. Je voulais compter pour elle autant qu'elle comptait pour moi, mériter la moindre de ses pensées, occuper jusqu'au cadet de ses soucis ; je voulais qu'elle devienne ma groupie, mon égérie, mon ambition ; je voulais tant de choses, et Jessica les incarnait toutes. En vérité, c'était elle la star et elle illuminait mon ciel en entier. J'étais au comble du bonheur. Il me semblait que les étés précoces naissaient dans le creux de ma main. Mon coeur battait la mesure des moments de grâce. Chaque baiser posé sur mes lèvres avait valeur de serment. Jessica était mon sismographe et ma religion, une religion où le côté obscur des choses n'avait pas sa place, où la prophétie se résumait à un seul verset : je t'aime... Mais depuis quelques semaines, même le voeu pieux s'était mis à douter de sa bonne foi. Jessica ne me regardait plus avec ses yeux d'antan. Je ne la reconnaissais plus. Dix ans de mariage pour m'apercevoir que quelque chose dysfonctionnait dans notre ménage ; quelque chose qui refusait de me livrer ne serait-ce qu'un bout de piste pour que je puisse remonter aux sources du malentendu. Quand j'essayais de lui parler, elle sursautait, et mettait une bonne minute avant de réaliser que ce n'était que moi, son mari, qui tentais de percer la carapace dans laquelle elle se verrouillait ; quand j'insistais, elle se barricadait derrière ses bras en prétextant que ce n'était pas le moment. Chaque mot, chaque soupir l'indisposait, l'éloignait un peu plus de moi.
Ma femme ne m'inquiétait pas ; elle m'épouvantait.
Je l'avais connue pugnace, souveraine dans ses combats et dans ses convictions, à l'affût de la moindre petite lueur pour éclairer notre vie... Jessica, avant, c'étaient les années bénies où tout nous réussissait. Dix ans d'amour débridé, d'ébats torrentiels et de tendres complicités.
Je l'avais rencontrée dans une brasserie des Champs-Elysées, à Paris. Elle participait à un séminaire ; j'assistais à un congrès. Je l'avais aimée à l'instant où je l'avais vue. Nous nous étions regardés en silence, elle au fond de la salle, moi à proximité de la baie vitrée. Puis nous nous étions souri. Elle était sortie la première, en compagnie de ses collègues. Je pensais ne plus la revoir. Le soir, nos chemins s'étaient croisés dans le hall de l'hôtel où se tenaient, à des étages différents, son séminaire et mon congrès. Le hasard faisait bien les choses, pourquoi ne pas en profiter ?... Quatre mois plus tard, nous étions mariés.
Qu'est-ce qui la rendait si distante ? Pourquoi ne me confiait-elle rien de ses angoisses, et rien de ses secrets ? En désespoir de cause, interprétant son attitude comme un cas de conscience, j'avais soupçonné une liaison extraconjugale, une aventure sans lendemain qui la poursuivrait dans un tumulte de remords - je divaguais. Jessica était à moi. Je ne me souvenais pas d'avoir surpris ses yeux posés sur un autre homme.
Tant de fois, dans la cuisine, après un repas sans écho, tandis qu'elle esquivait mon regard, ma main se tendait vers la sienne. Instinctivement, tel un escargot effarouché, Jessica repliait son bras et le dissimulait sous la table ; je gardais mon calme, de peur d'aggraver la fracture.
Elle était belle, Jessica. Je crevais d'envie de la prendre dans mes bras ; j'avais faim d'elle, de son corps généreux, de ses étreintes orgasmiques. L'odeur de ses cheveux, son parfum, le bleu de ses yeux, tout en elle me manquait. Je languissais d'elle alors qu'elle était à portée de ma main ; je la perdais de vue dès qu'elle me tournait le dos. Je ne savais plus comment la récupérer.
Notre maison évoquait un mausolée sous scellés dont j'étais et le captif et l'esprit frappeur. Je ne savais où donner de la tête. Je me sentais dispersé, superflu et tellement inutile. Il ne me restait que les yeux pour regarder mes soleils s'éteindre les uns après les autres, et la noirceur des coulisses entoiler la scène sur laquelle mon héroïne avait perdu le sens de la repartie. Jessica avait oublié son texte. Aucun rôle ne seyait à ses silences. Elle n'était plus qu'une enveloppe de chair aussi insaisissable qu'un souvenir orphelin de son histoire. A quoi pensait-elle ? Qu'est-ce qui la stressait ? Pourquoi était-elle toujours pressée d'aller se coucher, m'abandonnant au salon sous un éboulis d'interrogations ?
Je passais mes soirées à me morfondre, face à une télé qui ne me divertissait plus, zappant d'une chaîne à l'autre. De guerre lasse, la tête dans un étau, je regagnais la chambre et passais une éternité à écouter dormir Jessica. Elle était magnifique dans son sommeil. On aurait dit une offrande tombée du ciel, sauf qu'il m'était interdit d'y toucher. Libéré de ses hantises, son visage recouvrait sa fraîcheur, sa féerie, son humanité ; elle était le plus beau spectacle que je pouvais espérer au milieu de la nuit qui me confisquait le monde.
Le matin, elle était déjà partie. Je trouvais les traces de son petit déjeuner dans la cuisine, un mot sur le frigo : Ne m'attends pas, ce soir. Je risque de rentrer tard... et le rouge de ses lèvres sur le bout de papier en guise de signature.
Ma journée s'annonçait alors aussi dénuée d'attraits que mes veillées.
Médecin généraliste, j'exerçais au rez-de-chaussée d'un immeuble cossu, à quelques pâtés de maisons de la Henninger Turm, sur les hauteurs de Sachsenhausen, au sud de Frankfurt. Mon cabinet occupait tout le palier et disposait d'une salle d'attente assez vaste pour accueillir une vingtaine de personnes. Mon assistante s'appelait Emma, une grande fille aux jambes musclées d'une efficacité rare. Mère de deux enfants qu'elle élevait seule, suite à la défection de son mari, elle tenait mon cabinet aussi impeccablement qu'un bloc opératoire.
Deux patients m'attendaient dans la salle ; un vieillard livide serré dans un paletot, et une jeune dame avec son bébé. Le vieillard avait l'air d'avoir passé la nuit sur le pas de mon cabinet à guetter mon arrivée. Il se mit debout dès qu'il m'aperçut.
- Je souffre trop, docteur. Les comprimés que vous m'avez prescrits ne font plus d'effet sur moi. Qu'est-ce que je vais devenir si aucun médicament ne me convient ?
- Je suis à vous dans une minute, monsieur Egger.
- Je me fais un sang d'encre, docteur. C'est quoi, mon problème ? Vous êtes sûr de ne pas vous tromper de diagnostic ?
- Je me conforme aux indications de l'hôpital, monsieur Egger. Nous allons voir ça tout de suite.
Le vieillard reprit sa place et se ramassa sous son manteau.
A la mère, qui le fixait d'un air outré, il dit :
- J'étais là avant vous, madame.
- Peut-être, lui rétorqua-t-elle, sauf que j'ai un nourrisson.
Durant les consultations, je songeais à Jessica. Je n'arrivais pas à me concentrer sur mon travail. Emma remarqua que je n'étais pas bien. A midi, elle me pria d'aller déjeuner et de me détendre un peu. Je me rendis dans un petit restaurant non loin de la place Römerberg. Il y avait un couple qui n'arrêtait pas de se chamailler à voix basse, à la table voisine. Puis, une famille avait débarqué avec des gosses turbulents et je m'étais empressé de demander l'addition.
Je me rendis dans un square à proximité du restaurant, pris place sur un banc jusqu'à ce qu'un groupe de jeunes touristes vienne me déranger. Au cabinet, trois malades se morfondaient ; ils consultèrent ostensiblement leurs montres pour me signifier que j'étais en retard de plus d'une heure.
Vers 17 heures, je reçus Mme Biribauer, l'une de mes plus anciennes patientes. Elle faisait exprès de prendre rendez-vous vers la fin de ma consultation afin de me livrer ses soucis de famille. C'était une octogénaire alerte, très polie, qui s'habillait avec soin. Ce jour-là, elle ne s'était pas maquillée et sa robe n'était pas repassée. Elle arborait une mine maussade ; ses petites mains flétries étaient striées de bleus. Elle commença par me faire comprendre qu'elle n'était pas venue pour une raison médicale, s'excusa de devoir encore et encore "m'ennuyer" avec ses histoires de vieille dame solitaire puis, après avoir réfléchi, elle s'enquit :
- C'est comment la mort, docteur ?
- Voyons, madame Biribauer...
Elle m'interrompit de la main :
- Comment c'est le grand sommeil ?
- Personne n'a ressuscité pour nous décrire à quoi cela ressemble, lui dis-je. Rassurez-vous, on n'en est pas là. Vous n'avez qu'une petite tumeur bénigne qui va disparaître au bout d'un bon traitement.
Elle se recula pour éviter ma main que je voulais poser sur son épaule et revint à la charge :
- Ce n'est pas à cause de cette chose monstrueuse qui pousse sous mon aisselle que je viens vous voir, docteur. Je me pose vraiment la question. Ces derniers jours, je ne pense qu'à ça. J'essaye d'imaginer comment c'est le grand saut, le grand noir, le grand néant, et je n'y arrive pas.
- Vous devriez songer à autre chose, madame. Vous avez une santé de fer, et de belles années devant vous.
- Les belles années sont celles que l'on partage avec les gens qu'on aime, docteur. Et puis, songer à quoi ? Qu'y a-t-il d'autre ?
- Votre jardin.
- Je n'ai pas de jardin.
- Votre chat, vos pots de fleurs, les fêtes, vos petits-enfants...
- Je n'ai plus personne, docteur, et mes fleurs au balcon ne me font plus de printemps. Mon fils, qui vit à vingt kilomètres de chez moi, ne me rend plus visite. Quand je l'appelle au téléphone, il dit que le boulot le bouffe cru, qu'il n'a pas une minute à lui... Et moi, j'ai tout le temps de me demander à quoi ressemble le grand vide...
Ses doigts s'entremêlèrent lorsqu'elle ajouta :
- La solitude est une mort lente, docteur. Je ne suis plus sûre d'être encore de ce monde.
Elle soutint mon regard durant un long moment avant de se détourner.
Je lui pris les mains ; elle me les abandonna comme si elle n'avait plus la force de les récupérer.
- Débarrassez-vous de ces mauvaises pensées, madame Biribauer, lui dis-je. Vous vous tarabustez inutilement. C'est dans la tête que ça se passe. Gardez le moral. Vous avez fait montre de courage et de lucidité. Vous n'avez aucune raison de céder aujourd'hui et, croyez-moi, avec ses joies ou avec ses peines, la vie mérite d'être vécue jusqu'au bout.
- Justement, docteur, justement. Il est comment, le bout ?
- Quelle importance ? Ce qui compte est de vous occuper un peu plus de vos fleurs. Votre balcon n'en serait que plus gai. Maintenant, montrez-moi comment notre petite tumeur a réagi au traitement.
Elle retira ses mains et m'avoua dans un soupir :
- Je n'ai pas pris de traitement.
- Comment est-ce possible ?
Elle haussa les épaules, pareille à une enfant qui boude :
- J'ai brûlé l'ordonnance dès mon retour à la maison.
- Ce n'est pas sérieux, voyons.
- Rien n'est sérieux lorsque vous n'avez personne autour de vous.
- Il y a des endroits spécialisés, madame Biribauer. Pourquoi ne pas les solliciter, si vous vous sentez seule ? Vous aurez de la compagnie, des soins, des...
- Vous voulez parler des asiles pour vieilles gens finissants ? Ces mouroirs !... Très peu pour moi. Je m'imagine mal finir mes jours dans ces maisons lugubres. Non, je suis incapable d'accepter que l'on me mette au lit à des heures fixes, que l'on me sorte à l'air frais comme un légume et que l'on me pince le nez pour me faire avaler ma soupe. J'ai trop d'orgueil. Et puis, je n'aime pas dépendre des autres. Je m'en irai la tête haute, debout sur mes jambes, sans aiguilles dans les veines ni appareils respiratoires branchés sur la figure. Je choisirai moi-même le moment et la manière...
Elle repoussa mon bras et se leva, furieuse contre elle-même. Je tentai de la retenir, elle me pria de la laisser partir et quitta le cabinet sans un mot de plus, sans un regard sur qui que ce soit. Je l'entendis descendre le perron, ouvrir la porte de l'immeuble et la claquer derrière elle ; attendis de la voir passer dans la rue ; elle ne passa pas devant ma fenêtre, comme à son habitude, et dut prendre la direction opposée. Une profonde tristesse s'ancra en moi, et je me dépêchai de recevoir le patient suivant.
La nuit était tombée lorsque Emma vint me demander si elle pouvait disposer.
- A demain, lui dis-je.
Après le départ d'Emma, j'étais resté une petite demi-heure dans mon bureau, à ne rien faire de spécial. Jessica ne rentrant que tard, je ne voyais pas comment disposer du temps vacant qui me restait sur les bras. J'éteignis les lumières et me *******ai de celle de la lampe de bureau. Cela me détendit un peu. J'aimais écouter le silence de l'immeuble, un silence imprégné d'ombre et d'absence qui semblait assainir les choses autour de moi. Des gens vivaient sur cinq étages aux couloirs feutrés, et je ne percevais aucun de leurs bruits. Ils s'enfermaient chez eux comme dans des tombeaux. C'étaient des gens d'un certain âge, argentés, voire bourgeois, mais d'une incroyable discrétion. J'en croisais un ou deux sur le palier, recroquevillés sur eux-mêmes, à peine perceptibles sous leur chapeau, pressés de disparaître de ma vue en s'excusant presque de se trouver sur mon chemin.
Ma montre affichait 20 heures. Je n'avais pas envie de rentrer chez moi retrouver le salon plongé dans le noir, et de rester là, face à une télé qui ne me dirait rien, à interroger toutes les cinq minutes l'horloge murale et à croire Jessica de retour dès qu'une voiture s'arrêtait dans la rue.
Copyright Julliard. En librairie le 22 août.




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:l'équation, africaine, khadra, livre, yasmina

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